8 mars dans les prisons de la région des Pouilles en Italie : Distribution d’un kit contre la précarité menstruelle

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8 mars dans les prisons de la région des Pouilles en Italie :

Distribution d’un kit contre la précarité menstruelle

 

À l’occasion du 8 mars 2023, journée internationale de lutte pour les droits des femmes, Made in Carcere[1] a eu à cœur, une fois de plus, de contribuer au respect de la dignité et des droits des femmes détenues dans le sud de l’Italie. Cette année les efforts ont été placés sur la lutte contre la précarité menstruelle dans les prisons, qui rappelons-le, représente à la fois un enjeu de santé publique de premier plan mais aussi un enjeu d’égalité et de dignité.

 

 

Il y a quelques semaines, L. (détenue à Lecce) nous racontait combien avoir ses règles en prison est une nouvelle bataille tous les mois.

Elle explique que la prison de Lecce distribue à chacune un paquet de serviettes par mois. Toutefois, et sans compter qu’un seul paquet ne suffit parfois pas à couvrir l’intégralité du cycle, il s’agit de produits bas de gamme, peu efficaces et inconfortables. À cela vient s’ajouter l’absence de tout autre produit de soin, d’antidouleurs, mais aussi d’intimité. L. précise que la plupart des détenues à Lecce ne travaillent pas, sont issues de l’immigration, et n’ont pas de famille ici, elles n’ont donc pas de moyen financier et doivent quotidiennement avoir recours à des « systèmes D » pour survivre. Pour celles qui perçoivent une entrée d’argent, elles peuvent se procurer d’autres protections hygiéniques et produits d’hygiène intime au supermarché de la prison, bien que celui-ci n’offre qu’un choix limité et reste plus coûteux que les commerces à l’extérieur. Enfin, L. insiste sur le lourd silence qui règne autour de cette situation.

 

En effet, le témoignage de L. fait écho à un phénomène bien précis : la précarité menstruelle. En résumé, il s’agit de la difficulté voire du manque d’accès à des protections hygiéniques de bonne qualité et en nombre suffisant. La précarité menstruelle a notamment pour origine le coût élevé des protections hygiéniques, mais aussi la stigmatisation et le manque d’éducation autour des menstruations, ou encore le manque d’infrastructures adaptées (eau potable…)[2].

L’accès à des protections menstruelles est un besoin de base. Ne pas en changer suffisamment ou porter des protections inadéquates peut aller jusqu’à mettre en danger la santé de la personne (risque de choc toxique, d’infections multiples, etc.)

Longtemps taxées comme des produits de luxe (avec une TVA à 22%), en Italie, les protections hygiéniques se voient finalement appliquer une taxe à 5% depuis janvier 2023[3]. Les dépenses pour l’hygiène menstruelle continuent de représenter une centaine d’euros par an. Étant non-remboursées, elles représentent une injustice fondamentale entre les personnes menstruées et les autres.

Dans le monde, une femme sur dix n’a toujours pas accès à ces produits[4]. En Europe, il s’agit notamment des femmes sans-abri, des travailleuses pauvres, des étudiantes… Mais qu’en est-il pour les femmes en prison ?

En Italie, les femmes représentent moins de 5% de la population carcérale[5], elles sont largement invisibilisées et oubliées par la société. Les conditions de vie dans les prisons sont loin d’être adaptées à leurs besoins. Et « une double peine[6]» s’applique alors à elles : devoir affronter la période menstruelle en prison. En effet, déjà particulièrement exposées à la vulnérabilité, la précarité des femmes dans les prisons s’accentue encore.

Comme le rappelait Rosanna Mancinelli, dans l’article de la semaine dernière[7], le temps non naturel passé en prison perturbe largement l’équilibre des corps féminins rythmés par le caractère cyclique de leur existence. Ainsi, « les troubles du cycle menstruel sont les premiers symptômes à apparaître en prison[8] ».

Outre l’impact physique, la précarité menstruelle a un réel impact psychologique sur les détenues. Une hygiène intime compliquée peut entraîner un sentiment accru de honte, de perte d’estime de soi et d’isolement social.

Parmi les propositions du dernier rapport publié par Antigone[9], on retrouve la mise à disposition « de tout ce qui est nécessaire pour répondre aux besoins hygiéniques et sanitaires spécifiques des femmes, y compris des serviettes hygiéniques fournies gratuitement[10]».

Il convient alors de souligner que « répondre aux besoins hygiéniques et sanitaires spécifiques des femmes » ne doit pas seulement se limiter à fournir un service élémentaire (mise à disposition de serviettes gratuites), mais doit aussi assurer le respect de tous les corps féminins, reconnaître leurs besoins, agir contre l’humiliation et le sentiment de honte, et garantir la préservation de leur dignité.

Il nous est alors apparu primordial de nous intéresser de plus près à ces cris d’alerte…

Grâce au soutien d’entreprises et associations sur le territoire (PDT Cosmetici, Azienda Sanigen, Terme a Margherita di Savoia, M’AmMA metodo e Le mele di Artemisia) nous avons alors pu mettre en œuvre la distribution d’un « kit contre la précarité menstruelle » dans les prisons. À partir de tissus récupérés, nous avons confectionné 150 trousses au sein de nos ateliers de couture, contenant des serviettes hygiéniques de bonne qualité et divers produits d’hygiène et de soin intime, que nous avons distribué à toutes les détenues de Lecce, Taranto et Trani le mercredi 8 mars dernier.

 

Entre surprise, émotion et dégustation de nourriture typique, ce moment de partage – par ailleurs le premier à réunir toutes les détenues depuis la pandémie – fut l’occasion de briser les tabous autour de différents sujets (comme les menstruations, le fait « d’être une femme » en prison etc.) et de provoquer des discutions sur l’importance des combats féministes de manière générale.

À la question « qu’est-ce que vous évoque cette journée ? », elles répondent en cœur qu’il n’y a rien à célébrer et soulignent la mémoire de celles qui ne sont plus là aujourd’hui. Nous en profitons pour rappeler ensemble que le 8 mars n’est pas « la fête de la femme », mais une énième journée pour contribuer au respect et à l’amélioration des conditions humaines et sociales de toutes les femmes et minorités de genre. Chaque jour, l’équipe de Made in Carcere continue à être présente aux côtés des détenues avec l’espoir de changer les conditions de vie dans les prisons féminines.

En découvrant le contenu des kit, l’ensemble des personnes réunies confirme le récit de L. Elles précisent que les protections hygiéniques distribuées par la prison ne prennent pas en compte les différences de flux selon les corps, selon les âges… « Par exemple, nous qui avons eu des enfants, nous nous salissons toujours avec ces petites serviettes !»

Annabella Cascione[11], grâce à qui nous avons récolté près de 4.000 serviettes hygiéniques, rappelle que « ces biens de première nécessité, qui pour une majorité de personnes vont presque de soi, peuvent représenter tant pour certaines femmes. » Maria Antonietta Plantone, la donatrice de savons intimes, crèmes pour le visage, crèmes pour le corps, masques de beauté, bio et produits dans le Sud de l’Italie, pour toutes les détenues, confirme que « d’une manière plus générale, la joie d’imaginer que quelqu’un.e avait pu penser à elles a rempli tous les regards[2]» de ce recoin particulier de la prison.

 

Ce premier pas vers la construction d’espaces respectueux qui entendent reconnaître et garantir les droits, besoins et désirs des femmes dans les prisons, ouvre la voie à une série de futures rencontres (événements de formation et d’information) avec les détenues, qui permettront d’aborder de nombreuses questions bien souvent négligées.

 

Par ailleurs, par cette volonté de mettre en lumière les conditions menstruelles des personnes détenues, nous entendons légitimer par la suite la distribution de produits menstruels différents dans les prisons (telles que des culottes de règles confortables) afin de continuer à agir contre la précarité menstruelle dans les prisons et de manière générale contre l’invisibilisation et la stigmatisation des femmes détenues.

Pauline Marquis

pauline.marquis@madeincarcere.it

 

[1] Made in Carcere est une organisation à but non lucratif établie à Lecce depuis 2006 qui promeut l’inclusion sociale et le respect de l‘environnement. La philosophie de l’association est de proposer une nouvelle opportunité :  faire réaliser des vêtements et accessoires à partir de matériels de stock dormant à des femmes dans les prisons (en l’échange d’un salaire).

[2] Plan International, « Causes et conséquences de la précarité menstruelle », Plan international, Adresse URL:  https://www.plan-international.fr/nos-combats/sante/precarite-menstruelle/ (Site consulté le 18/03/2023).

[3] GAVI Tommaso, «IVA assorbenti e pannolini: aliquota al 5 per cento con la Legge di Bilancio 2023», Informazione fiscale, décembre 2022, Adresse URL: https://www.informazionefiscale.it/IVA-assorbenti-pannolini-aliquota-5-per-cento-Legge-di-Bilancio-2023 (Site consulté le 18/03/2023).

[4] International Federation of Gynecology and Obstetrics (FIGO), «Month after month: Period Poverty», FIGO, février 2019. Adresse URL : https://www.figo.org/news/month-after-month-period-poverty (Site consulté le 18/03/2023).

[5] FABINI Giulia, «Donne e carcere: quale genere di detenzione?», Antigone, mai 2017. Adresse URL : https://www.antigone.it/tredicesimo-rapporto-sulle-condizioni-di-detenzione/03-detenzione-femminile/ (Site consulté le 18/03/2023).

[6] FONTENELLE Eva, « Avoir ses règles en prison : la double peine », Bondyblog, avril 2021. Adresse URL : https://www.bondyblog.fr/societe/sante/avoir-ses-regles-en-prison-la-double-peine/ (Site consulté le 18/03/2023).

[7] MANCINELLI Rosanna, « Pena e cura in un’ottica di genere. Riflessioni sul concetto di salute e benessere per le donne detenute », Esperienze con il sud, mars 2020.

Adresse URL : https://www.esperienzeconilsud.it/bilbenessereinternolordo/2023/03/16/pena-e-cura-in-unottica-di-genere-riflessioni-sul-concetto-di-salute-e-benessere-per-le-donne-detenute/ (Site consulté le 18/03/2023).

[8] Ibis

[9] Antigone est une association italienne fondée à la fin des années 1980 pour défendre la justice pénale.

[10] MARIETTI Susanna, « Partire dalle donne per una nuova idea di carcere », Antigone, mars 2023. Adresse URL : https://www.rapportoantigone.it/primo-rapporto-sulle-donne-detenute-in-italia/le-nostre-proposte/ (Site consulté le 18/03/2023).

[11] Témoignage de Annabella Cascione –CEO de l’Azienda Sanigen- qui s’est rendue pour la première fois dans une prison à l’occasion du 8 mars 2023.

[12] Témoignage de Maria Antonietta Plantone -CEO de PDT Laboratori Cosmetici- qui s’est rendue pour la première fois dans une prison à l’occasion du 8 mars 2023.

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